« La bataille de Pusey », le 16 juin 1940.
« La bataille de Pusey », le 16 juin 1940.
Extrait d’un livre de l’historien Roger Bruge (1924-2009) , l’un des spécialistes de la campagne de 39-40 qui a vu l’écroulement de l’armée française devant l’attaque fulgurante des Allemands. Titre du livre : les combattants du 18 juin. Tome 2. Les derniers feux.
« Au début de l’après-midi du 16 juin, le capitaine de Courcel arrive avec ses sept chars à Pusey, sur la RN 19, à quatre kilomètres de Vesoul.
« Le village paraît désert, note de Courcel, seul le curé est resté. J’envoie une reconnaissance sur Auxon : personne ! Les Polonais ne se sont pas arrêtés ».
Un motocycliste appartenant à une batterie de DCA (défense contre avions) apporte un message du lieutenant Nathan qui s’est replié avec ses six chars et se trouve en DCB (défense contre blindés) à la lisière d’un bois proche de Montigny-les Vesoul.
« Dites-lui de me rejoindre à Pusey ! » ordonne de Courcel.
Pendant que le motocycliste repart vers le sud-ouest, deux autres motocyclistes, allemands ceux-là, apparaissent à un coude de la route, suivis à courte distance par une voiture tout-terrain. De sa tourelle, le sergent Vergnaud envoie deux coups de 37 qui manquent leur cible. Abandonnant leurs machines sur la route, les motocyclistes ont plongé dans un champ de blé et la tout-terrain effectue une marche arrière précipitée.
« Pousse en avant » ordonne Vergnaud à Bouveret, son mécanicien.
Le char s’arrête au coude de la route et Vergnaud adresse des signes de la main au capitaine, comme s’il avait soudain des ennuis mécaniques. Le sergent Hauth est resté à Pusey avec les cinq autres chars. Écrasant au passage les deux motos sous ses chenilles, de Courcel se porte au niveau du R35 de Vergnaud. Ils n’ont pas le temps d’engager la conversation qu’un 37 Pak ouvre le feu. Vergnaud est tué le premier, puis Bouveret. La bouche du canon et celle de la mitrailleuse du capitaine sont faussées par le même obus. Impossible de riposter. Le mécanicien, la cuisse broyée, sort en hurlant de douleur et se jette dans le fossé. De Courcel tente d’incendier son char, mais un projectile lui arrache le biceps du coude à l’épaule. Il saisit son pistolet 7,65 et, geste dérisoire, met en joue les Schützen qui accourent à la curée. Une balle lui laboure le cou, une autre le frappe à la main : le pistolet tombe à terre. Un instant plus tard, le chef de la 3/16° BCC (bataillon de chars de combat équipé de chars R35 armés de canons de 37) est prisonnier et on le brancarde jusqu’à un poste de secours.
La présence des chars incite les Allemands à la prudence et ils attendent d’être renforcés avant d’attaquer Pusey ce qui donne le temps à la section Nathan d’emprunter le chemin venant de Montigny et de rejoindre les cinq engins du sergent Hauth. Celui-ci raconte à Nathan ce qu’il sait, c’est-à-dire peu de chose : le char du capitaine et celui de Vergnaud se sont portés en avant, des coups de canon et des rafales ont été entendus, puis plus rien. Nathan n’a pas le temps de s’interroger que la grosse voie de l’artillerie se fait entendre. Une batterie allemande est en position derrière Charmoille, le village voisin, et semble tirer sur le triage de Vaivre où le I/68° RIF (régiment d’infanterie de forteresse) a commencé à débarquer.
… Les chars de la 3° compagnie se dirigent vers Vesoul qui est tenue…»
∗
Pour avoir vécu intimement cet épisode de notre histoire du village, je suis en mesure d’apporter quelques compléments au texte cidessus.
À l’approche des Allemands, de nombreuses familles ont fui, en mimétisme de ce qui se passait un peu partout dans les régions du Nord de la France.
Mon père, mobilisé, errait quelque part dans la région de Montauban. Notre maison était réquisitionnée pour l’hébergement d’une trentaine de soldats qui devaient constituer un point de résistance à l’ouest de l’agglomération. Une tranchée, aux normes de l’époque, avec fascines et redans, avait été creusée derrière le calvaire. La perspective de se trouver au coeur d’un combat a décidé ma mère, alors chef de famille, de nous protéger. C’est ainsi que nous nous sommes réfugiés chez des cousins à Bas de Crottes, comme on appelait encore le Val des Charmes.
L’abbé Laviron, notre curé, est effectivement et volontairement resté sur place.
La section, cantonnée dans notre ferme à l’angle de la route de Vaivre, semble avoir été prélevée le 15 juin pour renforcer la défense de Vesoul. Une unité polonaise devait la relever et occuper la tranchée pour freiner l’avance ennemie. Mais, comme l’écrit Bruge, les Polonais ont été dirigés vers une autre destination.
Le 3/16° bataillon de chars de combat est arrivé à Pusey par la route de Vaivre. Le capitaine de Courcel et le sergent Vergnaud se sont portés avec leurs chars à la rencontre de l’ennemi sur la RN19, jusqu’aux lisières de Charmoille, pour s’embosser à gauche de la route, à hauteur de la dernière petite côte. Pour ce faire, ils ont effectué un demi-tour à la hauteur de notre église. Les traces de ripage des chenilles sont restées visibles sur la chaussée pendant plusieurs années.
Après avoir neutralisé les deux chars français, il semble que le 75 Pak a poursuivi son tir sur le village de Pusey comme en attestent l’impact sur le clocher et le coup fatal qui a causé la mort d’un petit garçon ; quelques toitures en tôle en portent encore les traces.
Le sergent Vergnaud et le mécanicien Bouveret ont été provisoirement ensevelis dans le cimetière communal, avant transfert dans leurs communes respectives.
C’est en hommage à leur sacrifice que les noms associés de ces deux héros ont été donnés à une rue du village.
Les carcasses des deux chars sont restées plusieurs mois sur place avant leur enlèvement.
À notre retour de Bas de Crottes, le lendemain ou surlendemain, je ne sais plus, nous avons retrouvé la ferme sensiblement dans l’état où nous l’avions laissée. Des colonnes motorisées allemandes se succédaient dans la traversée du village; nous les observions en catimini. Vesoul n’avait pas résisté. Vaivre se consumait dans un épais nuage de fumée noire.
Complètement anéantis, nous ne savions pas encore que nous devrions subir l’occupation ennemie pendant quatre longues années de souffrance.
Bernard Pinot