Petit voyage dans les archives communales
Avant la Révolution, les évaluations de la population sont calculées assez grossièrement à partir du nombre de « feux » et de la balance naturelle entre naissances et décès.
C’est une loi du 22 juillet 1791 qui pose le principe général d’un recensement direct.
En fait, il faut attendre le début du XIX ° siècle pour trouver une véritable politique du dénombrement même si, jusqu’en 1821, les méthodes employées sont plutôt empiriques. L’apparition des agents recenseurs, la mise en application de questionnaires mieux élaborés, permettent, à partir de cette année, d’affiner progressivement les techniques.
En 1841, l’effort de définition des populations se précise ; il est désormais tenu compte des populations « flottantes ».
La centralisation de l’exploitation, conjuguée à l’amélioration régulière des questionnaires, autorise des approches de plus en plus fines.
Depuis 1946, L’INSEE améliore sa méthodologie. L’ordinateur donne maintenant à cet organisme une allonge inégalée.
En tout état de cause, les thermomètres utilisés aux différentes époques, quelle qu’en soit la fidélité, fournissent les seules références officielles quant à la mesure des populations.
S’agissant de Pusey, les comptages traduisent d’importantes fluctuations qu’il serait intéressant d’analyser.
Après une période de forte densité dans la première moitié du XIX ° siècle, où elle se situe à 8 ou 900 âmes (comme on disait à l’époque), la population décroît rapidement pour atteindre son point d’étiage en 1926, avec moins de 340 habitants. En quelque 80 ans donc, Pusey perd les deux tiers de ses effectifs, puis entre dans une longue stagnation d’une soixantaine d’années, avant l’essor actuel qui porte sa population au point le plus haut de son histoire.
Entre 1841, où le village comptait environ 950 âmes, et maintenant, les conditions de vie ont, bien sûr, enregistré d’importantes modifications.
Au milieu du XIX ° siècle, Pusey, à l’instar de la quasi-totalité des villages de France, se caractérise par un certain agrégat familial. C’est le temps des familles nombreuses.
Les ROBARDEY entretiennent une quarantaine de feux, les COURTOIS une vingtaine, les GUERITTOT entre quinze et vingt, les GUILLAUME une vingtaine vers 1880, les BAILLY dix, viennent ensuite les LÉPINIER et les GÉRARD sept à neuf, les ATHEY cinq à huit, les GAUDEY cinq à sept, les GRANGERET cinq ou six, les PETIT et les MARCHAND quatre ou cinq.
C’est l’époque où Pusey est un centre important du commerce de chevaux. Entre 1850 et 1870, on dénombre de quinze à dix-sept « marchands de chevaux » qui, outre les chevaux de trait, fournissent le 11° Régiment de Chasseurs en garnison à Vesoul ; ils entraînent dans leur sillage des maréchaux-ferrants, trois ou quatre, des voituriers et des charrons, deux ou trois.
La vie autarcique est alors la règle. Pusey compte deux bouchers, deux ou trois aubergistes, deux tisserands, trois ou quatre cordonniers, une couturière, deux épiciers, un marchand de vin, un ou deux meuniers, un ou deux menuisiers, un jardinier, un coutelier, un maçon, un coquetier, un ou deux fourniers (qui tiennent les fours communaux où chacun apporte son pain à cuire, du moins ceux qui ne disposent pas d’un four à domicile).
Les cultivateurs et les fermiers, soit le gros de la population, se partagent les prés et les champs que n’utilisent pas les marchands de chevaux.
À partir de 1850, on assiste à une inversion de la situation. À une période positive succède une régression. Alors que les naissances sont nettement excédentaires (+ 326 en 5 ans), la balance devient durablement déficitaire.
En l’absence de faits caractéristiques de nature à expliquer cette évolution, c’est dans la conjugaison de plusieurs facteurs qu’il faut rechercher les causes de la chute démographique du village.
On note bien l’effet des maladies, telle la fièvre typhoïde de 1855 qui touche soixante personnes, mais à lui seul ce fait n’explique pas tout.
En revanche, la structure économique ne semble pas avoir permis d’absorber les contrecoups de la révolution industrielle qui marque la deuxième moitié du XIX ° siècle ; la paupérisation fait tache d’huile. La vingtaine de marchands de chevaux se dispersent ; au tournant du siècle, il n’en reste que quelques-uns. Et, curieusement, parallèlement, le nombre des journaliers s’accroît, pour dépasser la quinzaine. Le village compte jusqu’à une quarantaine de ménages indigents, plus ou moins soutenus par les aides de la Mairie.
Le paysan de l’époque vit chichement. Il est rarement propriétaire. Son but est de subvenir aux besoins essentiels d’une famille souvent nombreuse. Il se livre à une polyculture vivrière et toutes les terres autour du village sont réservées à cet usage. Les pâtures sont rares ; la nourriture des quelques vaches qui constituent le cheptel de chacun, est souvent assurée par le biais du pacage itinérant, sous la houlette du pâtre communal, sur les terres « des vieux regains », en « vaine pâture », ou sur les pâtis communaux.
Nos anciens vivent en circuit fermé, ou presque, à trois générations dans la même maison. Ils achètent bien du vin à Chariez, mais il ne fréquentent la boucherie que pour les fêtes et, exceptionnellement, le dimanche en cas de visite. Et encore, les achats se limitent-ils au pot-au-feu, parfois un rôti de veau, très rarement de la viande à griller. Les menus s’articulent autour de la production personnelle de légumes et la soupe au lard, le lard du cochon que l’on tue avec l’aide du voisin ou des amis et que l’on stocke au saloir. On fait son beurre, on fait son pain…
Cette paupérisation, durement ressentie, entraîne le départ de beaucoup de jeunes gens vers d’autres cieux. L’essor du chemin de fer, le miroir aux alouettes des grandes villes, l’Administration, la Police et l’Armée attirent ceux qui veulent échapper à un sort peu enviable. Ainsi, de nombreux Puséens vont se fondre dans la diaspora haut-saônoise dont on retrouve bien des traces en région parisienne.
Le déclin va s’accentuer dans les premières décennies du XX° siècle. Il semble même que le XIX° se soit attardé jusqu’aux années 50. Pour avoir vécu le village des 300 habitants, les anciens s’en souviennent. L’arrivée du tracteur, après la dernière guerre, viendra bousculer les mentalités ; l’ère du cheval qui aura duré quelques millénaires s’effondre brutalement. Alors, tout se précipite. Le monde entre dans une ère nouvelle ; Pusey n’y échappera pas. Comme en atteste la courbe démographique, l’explosion des années 60-70 va dessiner les contours du nouveau village.
De ces temps révolus, restent quelques très vieilles bâtisses. D’aucuns entendent encore le pas des chevaux et le grincement des essieux, les lavoirs et autres abreuvoirs leur parlent toujours. Certaines portes de granges affichent les vestiges des siècles passés ; rares deviennent ceux qui savent en déchiffrer le mystère…
BP.