Récit de Bernard Pinot : Les doryphores
Pusey d’hier...
Les doryphores
Les actions de guerre revêtent parfois des aspects insolites. En 39-45, les responsables du Reich soupçonnèrent les Alliés d’utiliser une arme inédite pour entamer leurs approvisionnements : les doryphores.
Ces coléoptères, d’insatiables ravageurs des plants de pommes de terre, étaient identifiés en Amérique à la fin du siècle précédent. Ils avaient traversé l’Atlantique au début du XXe siècle. Une recrudescence notable du fléau fut subitement perceptible en 1941 dans les territoires occupés. Puisqu’ils envisageaient euxmêmes de le faire, les Allemands craignaient que les Anglo-américains eussent trouvé le moyen efficace de larguer des doryphores. Ils imposèrent alors des mesures énergiques pour apporter remède à ce mal insidieux.
Comme les produits chimiques du moment manquaient d’efficacité, ils ordonnèrent un ramassage systématique des petites bestioles dévastatrices.
C’est ainsi que les gamins scolarisés à Pusey participèrent à la collecte des doryphores et de leurs larves voraces dans les champs du village. Les paysans étaient ponctionnés d’une partie de leur récolte par l’occupant, et voilà qu’ils subissaient en plus des dégâts provoqués par les parasites ailés, aussi la directive prise fut-elle admise sans trop de réticence.
Plusieurs d’entre nous se souviennent du ramassage avec nos petites boîtes en métal. Nous remettions la récolte à monsieur Joffroy, notre instituteur, qui ne manquait pas de féliciter le meilleur ramasseur avant de procéder à l’incinération des insectes pour en assurer la totale destruction. Quant à nous, nous avions pris un bon bol d’air, avec le sentiment du devoir accompli et le plaisir d’une journée quasi buissonnière.
C’est de cette époque que l’habitude fut prise d’appeler les Allemands « les doryphores » en référence à leur nombre et aux dégâts causés…
Bernard Pinot
Novembre 2012